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vendredi 24 février 2023

CATHY GARCIA

Je dois marcher encore, vers les jachères où les sources vives brassent des runes de rocs et d’ongles. Ça ulule, ça hurle, les nuits sont glacées, les étoiles toujours inaccessibles mais le cœur résonne dans le bois, dans les pierres.
Tambours, feux couvés. Flammèches, camouflage des crinières.

Nuques renversées. Transe insolente.
L’âme s’encorde aux cailloux sorciers.
[Fugitive 2014]

samedi 1 octobre 2022

CRISTIAN LAIME YUJRA

Éternité dans les Andes
    « La seule chose que je pouvais et devais faire de ma vie, c'était peindre ». Il le savait depuis son plus jeune âge, c'était écrit dans ses dessins d'enfant. Né en 1988, Cristian Laime est devenu très vite une valeur sûre de la peinture bolivienne en remportant dès 2010 les plus grands prix et concours de son pays. « Je suppose que l'art ne consiste pas simplement à composer un objet agréable à la vue ou contenant certaines caractéristiques esthétiques. C'est peut-être le moment qui antécède l'objet, l'instant qui concentre toute ta vie, cet instant unique et presque miraculeux de ton existence dans l'univers ». Mais l'instant de Laime s'éternalise, cesse d'être éphémère pour approfondir l'espace pérenne de sa culture aymara. Il se déploie en la souveraine figure de la cholita, sa mère, à la fois Pachamama, Vierge-Montagne et emblème immortel de son peuple.

vendredi 8 mai 2020

LES FILMS DE MAXIME NAUDET

Son premier film, réalisé durant sa troisième année de Licence Arts du Spectacle à Grenoble. Pour plus d'informations sur le travail de son personnage principal, artiste et père, j'invite à consulter ce billet de mon blog.

TISSER LE MONDE

    Photographie rare d'un maître kallawaya, reconnaissable aux motifs des tissus de ses sacs de médecines. Il porte les cheveux longs et très soigneusement tressés, usage qui fut abandonné peu à peu dès le début du XXème siècle. Le cliché de 1872 est de Ricardo Villalba. À droite, le très puissant Tata Akhamanimontagne sacrée des kallawayas.

mardi 13 septembre 2016

QUELQUES PIÈCES


    Moyen d’expression privilégié des cultures andines, la céramique élabore un vocabulaire esthétique qui comporte sa propre syntaxe et s’apparente, pour ces peuples qui n’ont pas laissé de traces d’écriture, à un véritable langage. Tissus et bijoux viennent compléter les poèmes de terre de cette galerie.

lundi 20 octobre 2014

SEMÉ EN TERRE


      Autrefois, les personnages importants, les mallkus de la communauté aymara ainsi que leur famille, étaient momifiés et ensevelis en position fœtale. La sépulture variait selon les localités. Le corps était simplement mis en terre ou placé dans une cavité que l'on murait. On pouvait aussi construire un mausolée en forme cubique, ou encore une tour. Les sépultures aymara portent le nom de chullpas. Ce sont des lieux sacrés pour ce peuple gérontocrate, adepte d'une necrolâtrie aux expressions variées, dont la toute première est, bien entendu, le culte des ancêtres. Pour les aymara, les morts ne meurent jamais. Ils changent d'état mais continuent de faire partie de la communauté et d'y intervenir, parfaitement intégrés au pacha, à l'environnement vital et spirituel indigène. La frontière entre leur monde et celui des vivants n'est donc pas un gouffre, elle est beaucoup plus souple que ce que nous autres, occidentaux, pouvons imaginer.

dimanche 5 octobre 2014

LA VAGUE & L'ESCALIER (2)


      La modification de la bannière de mon blog est l'occasion de revenir sur le symbolisme de la vague et de l'escalier, représentation du Ciel et de la Terre en leur union. Je l'avais déjà évoqué en 2010, dans le contexte de la culture Tiwanaku et des travaux de Posnansky. Nous le retrouvons ici sur une splendide céramique de la culture mochica où trois éléments seulement suffisent à l'artiste, pour provoquer un foisonnement de sens et suggérer un riche symbolisme, chargé d'opérativité et de sagesse. 

vendredi 25 avril 2014

KURMI, L'ARC-EN-CIEL

      C'est un récit fort ancien, dont j'ai entendu plusieurs versions contradictoires, lors d'akhullis et de tantachawis qui rassemblaient des hommes sages de la nation aymara. Je l'ai vu raconter aussi aux enfants que l'on mettait au lit. Cette légende se déroule aux temps mythiques, il y a de cela des milliers et des milliers d'années, bien avant que le jour existât. 

      Grand ordonnateur du monde, Wiracocha avait formé un univers grisâtre. Les montagnes,  les cieux, les plantes, les animaux et les hommes n'avaient pas de couleur. Willka Tata le soleil, n'était pas encore sorti des eaux du lac sacré, mais Phaxsi Mama la Lune, brillait avec intensité, suffisamment pour éclairer le monde. Toutefois et comme chacun sait, les rayons de Lune sont d'une nature particulière, qui gomme les couleurs. Il en allait de même autrefois. La nuée du temps, Ch'amak Pacha couvrait ce monde étrange, lorsque les dieux majeurs décidèrent de se réunir. Pacha Qamaq, le dieu du ciel et la Pacha Mama, se présentèrent ensemble pour faire connaître leur décision aux paqarinas. Le temps était venu de peupler la terre. Les paqarinas s'ouvrirent en profondeur et les êtres humains et les animaux sortirent des entrailles de la Mère, formant peu à peu des ayllus.

      Les hommes et les femmes de ce temps-là vivaient avec sagesse. On ne peut pas dire qu'ils ne savaient rien des couleurs, car chaque fois que la déesse Pacha Mama choisissait de se manifester à eux, elle le faisait revêtue d'une merveilleuse tenue, ornée de toqapus multicolores et resplendissants. D'ailleurs, il se murmure dans la tradition que les symboles mystérieux et beaux que les indiens utilisent ont tous pour origine les toqapus du vêtement d'un dieu. C'est là un grand secret...[LIRE LA SUITE]

mercredi 1 janvier 2014

L'HOMME-JAGUAR

  Suite au billet que j'ai rédigé en Août 2011 sur Abuelo Wachuma, plusieurs personnes m'ont écrit pour me faire part de leur expérience de cette plante maîtresse. La plupart du temps, ces messages me laissent perplexe car je sais d'avance que les conseils qu'on me demande ne vont pas être suivis. Dans le contexte particulier des plantes de pouvoir, le chamanisme apparaît souvent comme un prétexte aux comportements intoxicants, une sorte d'alibi exotique.

  Hormis le touchant témoignage d'un monsieur auquel je n'ai pas répondu, faute de temps et de connexion internet à l'époque, et dont l'expérience se déroulait à Sucre en Bolivie, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre où les usagers sauvages de ces plantes sacrées veulent en venir et ce qu'ils retirent véritablement de ces essais. Il y a beaucoup de confusion et de désinvolture dans ce domaine et par exemple, je ne vois pas pourquoi l'on me contacte pour m'informer que l'on a acheté des cristaux de mescaline sur internet. Rien n'est plus éloigné de mes préoccupations que cette course à la défonce.

  Que ces cristaux de mescaline soient extraits du San Pedro n'en fait d'ailleurs pas des substances chamaniques. Si, depuis des millénaires, les guérisseurs boliviens préfèrent le Pachanoï au Peruvianus, malgré le fait que le second soit plus chargé en mescaline, c'est parce que le Pachanoï contient des alcaloïdes différents, que l'on retrouve d'ailleurs naturellement dans les urines des patients schizophrènes. La force psychomimétique du Pachanoï est la raison pour laquelle il est privilégié par les guérisseurs andins. Sa configuration chimique est donc plus favorable aux travaux thérapeutiques, tandis que le Peruvianus sera réservé à des usages particuliers, notamment contre (ou pour) certaines opérations de sorcellerie, ou afin de réaliser des suggestions profondes de reprogrammation. Il est par conséquent inutile de tergiverser sur les variétés botaniques du San Pedro en fonction du seul degré de défonce que celui-ci procure. La logique suivie par le chercheur sauvage est ici erronée ; elle trahit l'intérêt réel porté à ces plantes sacrées, un intérêt intoxicant plutôt que thérapeutique... [LIRE LA SUITE]

samedi 15 décembre 2012

LE CHRISTIANISME ANDIN

[...] L'observateur extérieur qualifie rapidement les habitudes religieuses andines de syncrétisme mais une fois que l'on a étiqueté ainsi sa réalité, se rend-on compte que l'on a finalement rien dit de la foi indigène ? Une évidence saute aux yeux : dans la logique eurocentrée, le traitement d'un même phénomène d'inculturation, selon qu'il émane d'une culture dominante ou d'une culture dominée, ne bénéficie pas du tout de la même considération. 

   Ainsi, limiterait-on à un simple syncrétisme le long processus d'inculturation du christia­nisme dans la culture grécoromaine, initié lors du concile de Jérusalem qui excultura la circoncision et les mitsvot tout d'abord, pour se concrétiser par la suite aux conciles de Nicée en 325, puis de Chalcédoine en 451 ? C'est pourtant de cette façon que le message du Christ passa de la culture sémitique à la culture grécoromaine, afin de devenir la religion chrétienne que nous connaissons aujourd'hui. Des éléments fondamentaux de la culture sémitique furent exculturés tandis que des catégories essentielles de la pensée grecque et de la loi romaine étaient adoptées. 

  Or, le contexte interculturel étant infiniment plus antagonique, le message chrétien pouvait-il s'inculturer en milieu quechua ou aymara, sans devoir exculturer à son tour une certaine forme de “circoncision héllénique” ? C'est effectivement ce que les Andes ont fait depuis 500 ans, produisant un christianisme indigène qui suscite bien des doutes de la part des gardiens du dogme catholique, mais qui n'est certes pas dépourvu d'intérêt. 

  Il reste encore à savoir comment et de quelle manière l'esprit indigène adopte la divinité chrétienne, la superpose à d'autres, la rejette, la transforme en sauvegardant sa tradition native au travers même de ses stratégies de repli, de dissimulation, de résistance ou de synthèse. Cette patiente alchimie n'est pas le bricolage de quelques-uns mais un très long processus, organique et populaire plutôt que dogmatique. Si on l'étudie avec attention, l'adoption du catholicisme et la manière même dont une culture le fait sien finit par révéler plus qu'il ne le voile, tout un génie natif. Au passage bien sûr, la religiosité indigène interroge fortement le monoculturalisme de la théologie académique et son caractère d'imposition. 

  La méthodologie consistant à distinguer ce qui provient de l'un où l'autre camp n'est plus ici une quête de pureté doctrinale catholique ou andine, mais une démarche descriptive et non normative qui a pour but de mieux comprendre les transformations et les traits de l'âme indienne, au travers de cette rencontre interculturelle. [...]


lundi 18 juillet 2011

MAIL-ART POUR LA PACHAMAMA

Diane Bertrand, Canada.

Naudet/Pissier, France.

Keichi Nakamura, Japan.

Karen Wood, USA.

Cathy Garcia, France.

Monica Gonzalez, Argentina.

Thierry Tillier, Belgique.

A mail-art exhibition, with political and mystical undertones...

THEME : "EVO MORALES, LA PACHAMAMA, L'ESPOIR BOLIVIEN".
Date limite : 25 mai 2012.
Format et techniques libres. Pas de jury, pas de retours.
Les oeuvres doivent être expédiées par la poste.
Exposition en 2012 à La Paz, Bolivia.
Envoyer à : Philippe Pissier, c/o Fuster,
7 rue des Esclapiers,
46170 Castelnau-Montratier,
France.

samedi 9 avril 2011

L'ATTRAP'NADA


L'ATTRAP'NADA est un outil magique créé par Philippe - l'auteur du blog Réalusion - il y a une quinzaine d'années ou peut-être davantage. On le fabrique et le suspend à l'envi un peu partout, je ne lui connais pas de règle particulière. L'ATTRAP'NADA est l'objet magique le plus efficace qui soit car comme son nom l'indique, il sert à ne rien attraper. 100% de réussite garantie, quelle que soit la manière dont on voudra le comprendre : d'aucuns prétendent que l'ATTRAP'NADA sert à attraper RIEN, mais c'est sans doute déjà TROP ; d'autres disent qu'il s'agit d'un objet poétique ; quelques uns assurent qu'il sert juste à cesser de saisir. Finalement, certains pensent qu'il ne sert vraiment à rien. Parler de l'ATTRAP'NADA fait toujours sourire, mais comme a pu l'écrire Morgan dans sa préface à Magie Inconnue : “Il faut entendre le terme d'efficacité ma­gique comme la juste réponse de l’univers à l'expression non-volitive”.

jeudi 3 mars 2011

ELLES PARLENT...

La Chakana ou croix andine symbolise la relationalité. Son nom signifie "pont vers le supérieur". Pièce d'artisanat aymara contemporain 5cm x 5,2 cm pour 19,4 gr. Socle et lignes en argent massif. Symboles en pierres semi-précieuses et coquillages : lapiz lazuli, deux sortes d'azurite, nacre, ormeau, perle mère, trois sortes de spondyle... Cette chakana porte une série de symboles disposés en cercle où l'on distingue l'escalier, la vague, la demi-chakana, la feuille de coca. L'ensemble de ces symboles constitue le calendrier aymara. Au centre apparaît une spirale.
Spirale de la Pachamama. Pièce d'artisanat aymara contemporain 4,6 cm de diamètre pour 18,6 gr. Socle et spirale en argent massif. Sept sortes coquillages et pierres semi-précieuses : trois sortes de spondyle, deux sortes d'azurite, perle mère et Lapis Lazuli. La spirale est la façon dont les indigènes se représentent l'espace-temps ou Pacha, terme qui a aussi donné son nom à la Pachamama, déesse de la manifestation. Dans tous les rituels andins, la libation ou ch'alla, s'effectue par un mouvement en spirale. Il arrive aussi que l'on dispose les feuilles de coca ou les pétales d'oeillet en spirale. Agencé comme ici, avec sept sortes de pierres semi-précieuses, cet objet pachamamique est fréquemment utilisé lors de rituels de guérison. Les couleurs impactantes et énergiques de cette spirale évoquent l'arc-en-ciel, qui unit ciel et terre, ou bien encore la Wiphala, le drapeau andin à damier qui tisse les liens du monde.
Les trois mondes ou les trois Pachas. Pièce d'artisanat aymara contemporain 5cm x 5cm pour 16,6 gr. Socle et lignes en argent massif. Le dessin est fait de nacre, perle mère, spondyle, azurite... Cette pièce représente une chakana ou croix andine, sur laquelle apparaissent trois animaux, le condor, le puma et le serpent, qui correspondent aux trois mondes de la cosmovision andine : le monde d'en-haut, le monde d'ici et le monde d'en-bas. Associée au lama, animal privilégié de la Pachamama qui représente l'élément terre, cette trilogie peut aussi évoquer les éléments où le condor corrrespond à l'air, le puma au feu et le serpent à l'eau.

mardi 28 décembre 2010

GRAND-MÈRE GRILLON

Basé sur un conte ayore, Abuela Grillo est une puissante métaphore sur les conséquences de la privatisation de ressources appartenant à tous. Chaque fois que Grand-Mère Grillon chante, il se met à pleuvoir et la terre devient fertile. Jusqu'au jour où quelqu'un décide d'exploiter Grand-Mère Grillon, la produisant en spectacle, mettant son eau en bouteille pour la vendre. Le chaos qui s'en suit était pourtant prévisible... Ce dessin-animé bolivien auquel Luzmila Carpio prête son chant magique est facile à comprendre, puisqu'il est sans paroles.

lundi 23 août 2010

PACHAMAMA EN MUSIQUE (4)

Pour clôturer un mois de festivités qui a commencé le 1er Août, avec le traditionnel "Jour de la Pachamama", voici un chant mystique écrit, composé et interprété par "la voix des Andes", Luzmila Carpio dont Yehudi Menhuin a dit : "c'est un violon qui chante". Depuis octobre 2006, son Excellence Madame Luzmila Carpio Sangüeza est ambassadrice de l'État plurinational de Bolivie en France.

J'utilise le langage et la musique de mon peuple, de nos montagnes, de nos lacs, de l'air que nous respirons. Je chante mon amour pour la terre qui m'a vue naître, la terre de mes ancêtres (Luzmila Carpio).

mardi 8 juin 2010

QUE SONT LES MAGICIENS ?

Que sont les magiciens, sinon des saints de la Nature ?
(Paracelse)

Le magicien est le serviteur et non l’artisan de la Nature.
(Pic de la Mirandole)

La magie est appelée "sagesse" par les anciens peuples.
(Giordano Bruno)

La magie opère moins de miracles qu’elle ne sert avec empressement la Nature qui les accomplit.
(Pic de la Mirandole) 

La magie est l'esprit, et l'être est son corps.
(Jacob Boehme)

Faire de la magie n'est autre que marier le monde.
(Pic de la Mirandole)

L'opération de la magie est l'attraction d'une chose par une autre en vertu d'une affinité naturelle. Ainsi l'aimant attire le fer. Les œuvres de la magie sont donc des œuvres de Nature.  Et la Nature entière est appelée magicienne en vertu de cet amour réciproque. Toute la puissance de la magie réside dans l'amour.
(Marsile Ficin)

Le magicien marie la terre au ciel.
(Pic de la Mirandole)

mercredi 26 mai 2010

À LA RECHERCHE DES PLANTES SACRÉES

Il s'appelle José. Si cet ami espagnol a l'air fatigué, c'est qu'il sort d'une séance de Wachuma. La première fois que je l'ai vu, il passait au petit matin en souriant à tout le monde, dans la rue Sagárnaga, totalement ouvert. Je sus immédiatement qu'il était à la recherche de quelque chose de spécial. Je me tournai alors vers don Martin : "Tu vois ce gringo qui interroge autour de lui ? Je suis sûr qu'Il est à la recherche d'un homme magique". En fin de journée, je repassai par là et curieusement, je trouvai José assis avec don Martin qui s'empressa de me dire, tout exité que j'aie pu voir juste :"Je te présente don José, tu peux le renseigner il cherche un YATIRI". José souhaitait rencontrer des hommes de connaissance, ainsi qu'il les appelle. Il me raconta qu'un peu plus tôt dans l'après-midi, il était tombé sur un certain don Guillermo qui l'avait arnaqué en lui proposant un rituel bâclé et trop cher. "Tu aurais dû me demander ce matin, puisque je t'ai croisé et que je savais ce que tu cherchais. Je t'aurais mis aussi en garde contre ce Guillermo car ce n'est pas la première fois qu'il fait ça aux gringos", remarquai-je. Je sentais de l'énervement et de la déception en lui. "C'est vrai, répondit José, je t'ai aperçu aussi. J'ai croisé ton regard mais je savais pas". Il me montra ensuite quelques pages photocopiées d'un livre intitulé En busca de las plantas sagradas ("À la recherche des plantes sacrées"). En les feuilletant, je me rendis compte qu'aucun des endroits suggérés par son guide ne semblait correspondre à sa recherche. Comme je ne connaissais pas certains lieux indiqués, je demandai conseil à mon futur compadre don Nasario, lequel sollicita à son tour d'autres kallawaya, ce qui créa un peu d'animation autour de nous. Notre ami espagnol cherchait un spécialiste du cactus San Pedro et du breuvage Wachuma. En dehors de la célèbre rue des sorcières, les lieux magiques de La Paz sont en général plutôt spécialisés. Pour compliquer la situation - et sachant qu'existent 36 ethnies différentes en Bolivie - rien que dans le vocabulaire aymara, on relève plus de 40 appellations distinctes concernant les chamans et médecins traditionnels. Chacun a sa spécialité : Il y a l'AYSIRI spécialisé dans le recouvrement d'âme, l'AKULLIRI qualifié pour la divination, le CH'AMAKANI qui travaille dans l'obscurité et voit les esprits, le ICH'URI, sorte de prêtre divin, le JAMPIRI, plus centré sur la médecine, l'AMAUTA, réputé pour sa sagesse... autant de noms étranges répondant à des activités liées à l'invisible et au savoir ancestral. Finalement, la seule information exacte du bouquin de José concernait la Vallée de la Lune et la rue des Sorcières, où on trouve en effet le cactus sacré, sans pour autant pouvoir y rencontrer les Wachumeros, ceux qui en maîtrisent l'usage. J'explique alors à don José que les connaisseurs de Wachuma sont rares en Bolivie et qu'ils cultivent la discrétion, contrairement aux nombreux chamans des huaringas au Pérou, plus enclins à faire commerce de leur savoir-faire auprès de touristes naifs. La liste avec laquelle José tente vainement de s'orienter contient aussi quelques adresses d'agences spécialisées dans ce sacré business, mais mon interlocuteur est catégorique quant à ce genre d'activité et ne veut pas en entendre parler.

Désappointé, il commence toutefois à se rendre compte que je connais beaucoup de monde dans cette rue où nous sommes assis. Ses questions deviennent plus personnelles et il veut savoir où j'en suis de mon coté, depuis combien de temps je suis là et qui j'ai rencontré. Il y a en lui de l'engagement, de la sincérité et un coeur puissant. Mais il a aussi une tendance naïve à croire que les chamans sont comme dans les livres qu'il a lus, particulièrement ceux de Castaneda. José se défend d'être attiré par le coté spectaculaire des plantes sorcières en cinemascope. Il n'a pas de considération pour les aspects purements externes des visions et au contraire, c'est réellement l'esprit des plantes maîtresses qui l'intéresse. Je sais de toutes façons qu'il est prêt. Je l'ai su dès le premier regard. Je lui fais remarquer que son entreprise est peut-être vouée à l'échec car il ne dispose que d'un mois et qu'une rencontre avec ces traditions demande un investissement beaucoup plus long. Je lui parle bien sûr des kallawaya. Je suis avec eux depuis des mois mais en dehors de Grover et de sa famille, dont j'apprends beaucoup, tous semblent se méfier des occidentaux. Il est impossible pour un étranger de s'y faire initier. Lorsque José me demande pourquoi je reste avec eux, assis toute la journée, je lui réponds que je ne sais pas et que de toutes manières, je ne cherche rien de particulier. Précisons que nous sommes en décembre 2008 et que ce n'est qu'en mars 2009 que la porte des kallawaya va s'ouvrir pour moi, de façon très inattendue.
Je lui parle également de don Camilo, ce curandero du nord de l'Argentine que j'ai rencontré dans des circonstances rocambolesques, puisqu'il m'est apparu dans une vision dès mon arrivée en Amérique du Sud (à Cusco en Juin 2008), ainsi qu'une autre fois, en octobre 2008, lors des quatre jours que je passai dans le royaume des morts de l'Uku-Pacha, à Candelaria chez don Martin. Parfaitement réveillé, j'étais assis dans mon lit. Je voyais dans la nuit comme si c'était le jour mais en réalité, j'étais dans le patio de la maison de don Camilo, dans une communication non-verbale extrêmement précise où celui-ci était aussi étonné que moi de me voir là. Ces étrangetés se sont produites sans faire usage de plantes enthéogènes. Je n'ai rencontré Camilo en chair et en os qu'après ces évènements, il y a à peine plus d'un mois. Nous nous sommes reconnus à El Alto et avons évoqué ensemble ces rencontres dans le subtil. C'est là que pour la première fois, j'ai fait la connaissance de Wachuma. Mais Camilo prétendait, aux vues de nos expériences subtiles, que je connaissais déjà bien l'esprit de la plante. Pas de chance pour José, don Camilo est actuellement en voyage à Cochabamba et il ne pourra pas le rencontrer. Mon ami espagnol devient de plus en plus attentif alors que je déroule mon récit. Comme don Camilo est un spécialiste de Wachuma, j'explique les rudiments de la plante et ce que j'en sais. Comment la cueillir, comment la préparer, les exigences quant à sa prise, ses propriétés magiques, ses effets télépathiques et visionnaires, ses vertus thérapeutiques, les lieux où elle nous mène. Mon récit laisse de coté le fait qu'en raison de la qualité de nos rencontres dans le rêve éveillé, don Camilo me dit apte à transmettre ces choses ; car sur le coup, je n'ai pas conscience de pouvoir introduire José au monde de Wachuma. C'est la première fois que quelqu'un m'interroge sur la plante maîtresse. Je me contente d'expliquer prudemment ce que je sais, et je réfléchis aux personnes et aux lieux qui pourraient l'intéresser et l'éclairer dans sa démarche.
Puis, je lui propose de venir promener avec moi dans la rue des sorcières, pour lui présenter quelques plantes comme l'Ayahuasca, le San Pedro et d'autres moins connues. En marchant, d'étal en étal, je lui explique ce qu'il voit. Le mieux est de le cueillir soi-même rituellement, plutôt que de l'acheter ici. Ce cactus à cinq cotés, c'est très rare et très puissant. Il sert particulièrement pour telle opération. Son effet diffère des autres par tel et tel aspect. Cet autre cactus a six cotés, celui-là en a sept. Il en existe même à quatre cotés, mais ils sont encore plus rares qu'un trèfle à quatre feuilles et extrêmement dangereux. José commence à comprendre qu'il ne suffit pas de prendre du San Pedro à l'aveuglette, comme ça, en imaginant que c'est toujours à la même substance et aux mêmes effets que l'on aura affaire. Le nombre de cotés que comporte le cactus est fondamental, tout comme le lieu où il pousse, l'éclairage du soleil, le sexe de sa terre, le rituel présidant à sa préparation, etc. Je dis aussi quelques mots de la mesa norteña. Et tandis que nous échangeons, José déclare soudain :"Mais c'est toi, l'homme de connaissance que je cherche. Accepterais-tu de me présenter à l'esprit de Wachuma ?" Perplexe, je lui demande d'attendre un signe supplémentaire, un accord. Il part le surlendemain passer Noël au Pérou mais devra repasser par La Paz sur le chemin du retour. C'est là que je lui donnerai ma réponse et que nous célèbrerons ensemble le rituel de la vision qui ne reste pas prisonnière des yeux.
La conversation se poursuit et nous parlons maintenant d'impressions plus générales concernant son voyage dans les Andes. Il me dit que les argentins sont plutôt racistes envers les boliviens et qu'ils se moquent beaucoup de leur physique, les trouvant tous très laids. Ce qui provient de la culture occidentale est sujet, remarque-t-il, à cette dictature des apparences, à la superficialité botoxée de la vie et ses belles dents blanches prédatrices. Pour José cependant, les boliviens sont au contraire d'une grande, d'une très grande beauté. Ils sont beaux là où, justement, la famille argentine de son épouse trouve à se moquer d'eux. Ce n'est pas donné à tout le monde, en effet, d'avoir un visage totalement transparent où l'âme se donne à contempler avec autant de lumière et de force, ainsi qu'on peut le voir sur certaines images de mes blogs ou sur la video des Kjarkas. Depuis son arrivée en Bolivie, chaque fois que mon ami croise ce genre de visage, il a l'impression d'avoir vu un homme ou une femme de connaissance. C'est un avis que je partage pleinement bien sûr. Dans le sommeil profond de sa veille, le peuple a toujours été le gardien muet et inconscient d'un arcane final. Et de ce point de vue, don Martin est un champion toutes catégories. Encore faut-il pour cela qu'un peuple existe réellement, plutôt qu'une simple masse. Ce fut justement ma première découverte bolivienne, celle, éblouissante, de l'existence d'un peuple.
Revenons à Wachuma. C'est l'occasion pour moi d'expliquer pourquoi c'est un sujet que j'évite d'aborder trop directement sur ce blog. Hormis Morgan, Nakul et José, je n'ai initié personne à la prise de Wachuma et je ne pense pas avoir vocation à intégrer dans la démarche propre à notre lignée, l'usage systématique des enthéogènes. Certains amis proches soutiennent que le mental occidental a atteint un tel degré de rigidité qu'il n'y a plus que des gnoses chimiques qui puissent trouver la faille. M'est avis que le caractère spectaculaire de ces gnoses est trop divertissant pour le mental, qui y trouvera un nouveau jouet, un bel objet de consommation et des histoires supplémentaires à se raconter. D'autres approches, plus sobres et offrant moins de prise, semblent mieux correspondre à nos besoins, comme par exemple la méditation sans aspects (que le vajrayana appelle "non-méditation"). Et loin de montrer que nous sommes capables de comprendre la démarche enthéogène, un film tel que Blueberry ne fait au contraire que m'encourager à me taire sur cette question. Le but de l'auteur du film était de plonger directement le spectateur dans l'expérience chamanique, grâce aux effets spéciaux et une participation des spectateurs aux visions du héros. Le résultat est complètement raté au regard de l'intention. Les plantes maîtresses ne sont pas un trip et si les visions forment un langage privilégié des enthéogènes, elles ne constituent pas l'essentiel de cette approche particulière. Elles ne sont au contraire que l'extériorité de l'expérience chamanique, et quand on observe combien cette féérie spectaculaire continue de fasciner le candidat au breuvage sacré, on ne peut qu'en déduire que les conditions ne sont pas réunies pour un usage sain et respectueux de ces plantes. De plus, s'il est possible à tous de participer à un traitement thérapeutique effectué par ces plantes, leur usage proprement initiatique et chamanique réclame des compétences qui font généralement défaut à l'usager. Celui-ci sera donc un patient, et non pas un chaman auquel on enseigne le manejo. Pour une vision critique contrastée du Blueberry de Jan Kounen, je propose un autre film, nettement plus réussi quant au partage de l'expérience chamanique et au climat créé. Il s'agit du film exceptionnel de Nicolás Echevarría, Cabeza de Vaca (1990), que je montre souvent aux nouveaux venus souhaitant comprendre mon travail. Sans pour autant suivre la réalité ethnographique ou historique, cette oeuvre magistrale au traitement surréaliste, parvient à nous plonger dans une atmosphère ne sacrifiant rien au spectaculaire des visions, mais se tournant résolument vers la dimension interne et transformatrice de l'initiation. En découvrant ce film, j'ai songé qu'il ne pouvait s'agir que d'une oeuvre de chaman. J'ai su plus tard que le réalisateur mexicain s'était interessé de près au chamanisme et avait, entre autres choses, réalisé en 1979 un excellent documentaire sur la célèbre guérisseuse Maria Sabina. Parmi les nombreuses leçons de ce film, il en est une que j'ai retenue. Après une expérience de vie aussi troublante qu'extraordinaire, le protagoniste revient au "monde civilisé". Ses compagnons de route lui conseillent de taire ses expériences : "tendremos que contar mentiras", "nous devrons raconter des mensonges". C'est ainsi que le héros se voit condamné au silence, tandis que ses compagnons disent toutes sortes d'énormités et parlent de cités d'or et de femmes à trois seins. Ceux qui mentent, l'Occident peut les croire, surtout quand leurs affabulations sont monumentales ; mais celui qui vit l'incroyable est réduit au silence, sachant que toute parole ferait de lui un élément à faire taire à tout prix.