[...] L'observateur extérieur qualifie rapidement les habitudes religieuses andines de syncrétisme mais une fois que l'on a étiqueté ainsi sa réalité, se rend-on compte que l'on a finalement rien dit de la foi indigène ? Une évidence saute aux yeux : dans la logique eurocentrée, le traitement d'un même phénomène d'inculturation, selon qu'il émane d'une culture dominante ou d'une culture dominée, ne bénéficie pas du tout de la même considération.
Ainsi, limiterait-on à un simple syncrétisme le long processus d'inculturation du christianisme dans la culture grécoromaine, initié lors du concile de Jérusalem qui excultura la circoncision et les mitsvot tout d'abord, pour se concrétiser par la suite aux conciles de Nicée en 325, puis de Chalcédoine en 451 ? C'est pourtant de cette façon que le message du Christ passa de la culture sémitique à la culture grécoromaine, afin de devenir la religion chrétienne que nous connaissons aujourd'hui. Des éléments fondamentaux de la culture sémitique furent exculturés tandis que des catégories essentielles de la pensée grecque et de la loi romaine étaient adoptées.
Or, le contexte interculturel étant infiniment plus antagonique, le message chrétien pouvait-il s'inculturer en milieu quechua ou aymara, sans devoir exculturer à son tour une certaine forme de “circoncision héllénique” ? C'est effectivement ce que les Andes ont fait depuis 500 ans, produisant un christianisme indigène qui suscite bien des doutes de la part des gardiens du dogme catholique, mais qui n'est certes pas dépourvu d'intérêt.
Il reste encore à savoir comment et de quelle manière l'esprit indigène adopte la divinité chrétienne, la superpose à d'autres, la rejette, la transforme en sauvegardant sa tradition native au travers même de ses stratégies de repli, de dissimulation, de résistance ou de synthèse. Cette patiente alchimie n'est pas le bricolage de quelques-uns mais un très long processus, organique et populaire plutôt que dogmatique. Si on l'étudie avec attention, l'adoption du catholicisme et la manière même dont une culture le fait sien finit par révéler plus qu'il ne le voile, tout un génie natif. Au passage bien sûr, la religiosité indigène interroge fortement le monoculturalisme de la théologie académique et son caractère d'imposition.
La méthodologie consistant à distinguer ce qui provient de l'un où l'autre camp n'est plus ici une quête de pureté doctrinale catholique ou andine, mais une démarche descriptive et non normative qui a pour but de mieux comprendre les transformations et les traits de l'âme indienne, au travers de cette rencontre interculturelle. [...]
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