Au VIIème siècle, sur les terres de l'actuelle Allemagne, Saint Boniface coupa le chêne sacré des celtes, qui pendant des siècles et des siècles avait été la présence vivante de l'union du divin et du naturel. Cette légende catéchétique fut, en soi, un coup de hache décisif. L'important n'est pas le simple fait de couper le chêne, c'est qu'en même temps on déracine un mode de conscience, ce type de conscience qui trouve la divinité dans l'arbre directement, sans devoir dire que d'un coté elle perçoit la divinité de l'arbre et de l'autre l'arbre sans la divinité. Car pour pouvoir faire ce genre d'opération chez les celtes à cette époque, peut-être fallait-il être chrétien.
Pour pouvoir séparer l'arbre des dieux dans l'arbre, il est nécessaire de saisir l'arbre comme objet non divin qui contient une divinité. Mais pour le païen regardant le chêne sacré, il n'y a pas d'un coté un arbre et de l'autre la divinité de l'arbre. On ne put voir dans le chêne sacré un objet vide de divinité et purement mécanique appelé « arbre » et un sens séparé que lorsque le chêne fut coupé par les chrétiens.
Le corps et le message apparaissent ensemble, la séparation entre le corps et le message survient d'un coup, mais avant il n'y a pas de séparation entre corps et message. Le Corps EST message et le message EST corps, ce ne sont pas deux choses séparées.
Dans un certain sens, le processus de transformation de la conscience apporté en terre païenne consista à faire un deux là où il y avait un un et simultanément à voir le deux dans le un. Mais là où auparavant tout était simple, uni, ingénu – le fait est le divin et le divin est le fait – se produisit une rupture et désormais, nous voyons les faits d'un coté et des significations divines de l'autre.
L'indien qui sacrifiait rituellement un animal ou un être humain ne voyait pas le sacrifice d'un coté et le sens du sacrifice de l'autre, mais l'acte était le sens. Le sacrifice était l'acte gnoséologique lui-même, l'acte de connaissance. Justement, le sacrifice comme acte contenant tout commence à se séparer en un acte vide de sens et en un sens séparé de l'acte lorsque meurt le sacrifice, quand il devient obsolète, lorsqu'on entre dans une autre forme de conscience.
Par exemple lorsque nous parlons de synchronicité, idée qui ne viendrait pas à l'esprit d'un « primitif », nous partons de la séparation. L'idée de synchronicité parle de comment unir ce qui est séparé et par conséquent c'est une conscience qui – bien qu'elle ait la belle et respectable nostalgie de restaurer l'unité – est déjà teintée de dualité. Si n'existait pas l'expérience de la séparation, la question d'une union ne serait pas posée.
L'idée de séparation et l'idée d'unité vont de pair et lorsqu'une personne parle d'unité, c'est qu'elle fait l'expérience de la séparation. Ce n'est pas qu'en premier il y a l'unité et qu'ensuite il y a séparation, c'est qu'en premier il n'y a rien et que surgissent en même temps dans l'acte de rupture l'unité d'un coté et la séparation de l'autre. Être installé sur cette brèche peut mener à se demander : « comment parvenir à l'unité ? ». Mais ceci parle justement, sans le dire, de la brèche sur laquelle on est installé. S'il n'y a pas eu de séparation, il ne peut y avoir de réconciliation. On ne peut parler de non-séparation qu'à partir de la séparation. Par conséquent on ne fait pas l'expérience de la séparation à partir de l'expérience d'unité mais tout d'abord il y a un état où n'existe ni unité ni non-unité et soudain, séparation et unité apparaissent.
Il ne peut y avoir d'expérience ni de notion d'unité qui ne contienne en soi logiquement la séparativité. Il ne peut y avoir d'expérience ni de notion de séparation qui ne contienne déjà la notion d'unité. L'unité et la dualité ne sont pas deux, elles sont convoquées par le même mouvement et apparaissent comme conséquence d'une logique qui n'est ni l'un ni l'autre mais les deux à la fois. La pensée n'est pas « ceci », ou « cela ». Elle est le mouvement qui fait apparaître les deux. Ce n'est pas quelque chose qu'il m'est possible d'imaginer car en l'imaginant, je vais l'imaginer « ceci », ou « cela ». Et dès lors que je le pense en termes de « ceci » ou « cela », on ne peut plus parler d'unité, puisque l'unité réelle n'est pas pensée de l'unité.
Je ne peux parler de l'enfance que lorsque je ne suis plus dans l'enfance. Mais quand je suis dans l'enfance, je suis l'enfance, il n'y a pas de nom à l'enfance. Lorsque je parle de l'enfance, même si je prétends être revenu à l'enfance, la conscience n'y est plus, elle s'en retire et c'est pourquoi l'enfance est pointable.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire