Le secteur géographique du début de ce billet est situé au sud des hauts-plateaux boliviens dans le département de Potosi. Il est dominé par trois grands volcans abondamment cités dans les traditions orales de la région : Ullulu à l'ouest, Cora-Cora à l'Est et Tunupa au sud-est (5432 m) qui est, dans la topologie sacrée, la maîtresse des lieux. Lors des deux voyages effectués ce mois de mai, la cordillère intersalar où se trouvent ces volcans était couverte de nuages et c'est pourquoi elle n'apparait pas sur les photos. Sur les cotés de cette cordillère s'étendent deux salares, celui de Coipasa et le célèbre salar d'Uyuni, vestiges des paleo-lacs Michin et Tauca formés au cours du Pléistocène.
De tous les salares, celui d'Uyuni est le plus spectaculaire en raison de la beauté des phénomènes qu'il présente. Plus vaste que le Titicaca (12 000 km carrés contre 9000), le salar d'Uyuni est parsemé d'ilôts peu élevés. L'île du poisson, l'île de la cloche et la Maison de l'Inca (Inka Wasi en quechua) comptent parmi les plus importants dans la tradition orale. Sur Inka Wasi se trouvent des cactus millénaires pouvant mesurer jusqu'à 10 mètres. C'est un bon point de départ pour une excursion. On offre à l'apacheta du lieu des feuilles de coca et de l'alcool, on demande la permission avant de s'élancer sur le miroir cosmique pour une traversée de 100 km qui donne le vertige, remplie de mirages et d'hallucinations troublant l'oreille interne.
En saison sêche, le salar est facile d'accès et ressemble à une immense mer de sel, immaculée et éblouïssante, dure comme la pierre. Au contraire, à la saison des pluies de Janvier à début Mai, le salar est inondé par les eaux saisonnières et prend l'apparence d'un vaste lac dont la profondeur varie entre 1 cm et 1,20 m. A l'époque où il redevient possible de le traverser, en mai, les jours sans vent, les eaux reflètent à l'infini la couleur du ciel et les nuages, provoquant des phénomènes de mirage où les montagnes alentour semblent léviter. Ces phénomènes entraînent une modification du paysage suffisamment importante pour avoir donné lieu à diverses légendes. On connait l'importance symbolique de la contraposition en miroir dans la cosmovision andine.
Il existe deux mythes concernant Tunupa. Celui du salar d'Uyuni dans le sud et celui propre au lac Titicaca dans le nord. Evoquons tout d'abord ce dernier, qui est passablement recouvert d'une influence chrétienne. Assimilé par les chroniqueurs espagnols à une sorte de Christ andin, ou encore à Thomas Didyme, le jumeau de Jésus, Tunupa aurait été un homme blanc, assez âgé, maigre et barbu, prêchant de communauté en communauté au temps des chullpas, réalisant des miracles et maîtrisant la foudre. On le confond souvent avec l'avatar de Wiracocha. Certains pensent que ce serait même Tunupa, et non Wiracocha, qui est représenté sur la porte du Soleil à Tiwanaku. Martyrisé par les indigènes qui finirent par l'adorer comme un Dieu, Tunupa fut attaché sur une barque afin d'y mourir peu à peu, mais il disparut à l'horizon et s'échappa du Titicaca, car la proue de la barque perça l'ouverture du fleuve Desaguadero, initiant ainsi le cycle andin de l'eau. La légende raconte qu'à la proue de cette barque apparut une Dame extrêmement belle et mystérieuse, probablement la mère de Tunupa, la Pachamama, qui guida l'embarcation et sauva ainsi son fils.
Tout comme le Tunupa du Nord est maître du feu céleste du Hanan Pacha, le mythe du sud andin associe Tunupa à un volcan féminin, maître du feu souterrain de l'Ukhu Pacha. Ce mythe est totalement différent du premier et constitue à plus d'un titre le miroir contraposé et l'inversion du mythe du Titicaca : Tunupa est une belle héroïne ou déesse qui, pour fuir un mari jaloux s'installe au salar d'Uyuni avec son fils, une petite montagne située juste à coté d'elle. Elle porte dix jupes superposées, qui sont autant d'allusions à ses coulées de lave successives. Le salar est formé du lait qu'elle donne à son fils, mais aussi des larmes qu'elle verse d'avoir perdu les deux jeunes et beaux chefs locaux, les volcans Ullulu et Cora-Cora, qui en se disputant les faveurs de la déesse se tuèrent mutuellement en se servant de leurs frondes (irruptions).
Une fois traversé le salar et après une nuit à San Juan, on s'engage dans le Sud-Lípez et poursuit la route jusqu'à la frontière chilienne pendant deux jours, vers San Pedro de Atacama. Les trois renards pas du tout sauvages sont peut-être encore en train de rôder autour du poste de douane bolivien, situé à 5000 m d'altitude. Le voyage est un festival de couleurs étranges, une succession de déserts, de roches animées, de lacs multicolores, de geysers, de volcans, de cratères rouges recouverts d'un borax si clair et pur qu'il pourrait faire croire à de la neige...
1 commentaire:
Tout simplement magnifique.
:)
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