
Certains disent que Jan Fries est un magicien du chaos, chose qu'il nie pourtant clairement, aussi clairement qu'existe une différence radicale entre magie inconnue et chaos-magick. Quoi qu'il en soit, le Visual Magick de Fries est très apprécié des chaotes anglophones et c'est sans doute pour cette raison qu'ils aimeraient bien faire de ce dernier un chaote...
Mais ce qui m'amène aujourd'hui à parler de Jan n'est pas les à peu près de l'occulture mais une pratique suggérée au chapitre 8 de son Visual Magick et qui concerne indirectement les Kallawayas. Ce Chapitre s'intitule Construire un Mandala. Il commence par la description de la construction d'un mandala par des moines tibétains. Puis, l'auteur nous demande de nous transporter par l'imagination vers les hauts plateaux boliviens où nous attend un Kallawaya, "parmi les rares restant encore", en pleine préparation d'une mesa de guérison. Jan Fries compare alors cette mesa à un mandala, avant de nous proposer sa pratique personnelle, inspirée par les kallawayas. Enfin, le chapitre se termine par une brève description du symbolisme possible des plantes et des arbres de la région où vit Jan.
Notons également que pour les Kallawayas, la feuille sacrée de coca est un composant essentiel et non-substituable de la mesa. Servir une mesa sans coca, c'est comme inviter quelqu'un à manger et ne lui servir que du sel. " Ñoqanchis runa cocamanta kausanchis, papamanta, arrozmanta, han jina. Chaykunaqa wiñachiwanchis. Jinallataj lugarkunawan. Pachamamata, lugarkunata mana burlanachu. Ñoqa manallataj uj visitaman kachillata qarasajchu, y. Papaman, arrozman, chayman kachita churasaj. Kachilla uj insultojina chayqa. Kugarkuna castigawankaku. Ichá jup'alla kankaku. Mana sirvinchu uj abusionta ruasqayta. Naupajta cocata, untuta mask'anchis. Chunca p'unchaytapas purisun necesitakun puni ari. " " Nous les hommes, nous vivons de coca, de patate, de riz; c'est ainsi. Ces choses nous alimentent. C'est exactement pareil pour les lieux sacrés. Est-ce que je vais servir seulement du sel à un invité ? Le sel, je vais en mettre dans les patates, dans le riz. Mais servir seulement du sel est une insulte. Les lieux sacrés me puniront, ou peut-être se boucheront-ils les oreilles lors de ma requête. Ça n'a pas de sens de faire une guérison comme ça. En premier lieu, nous devons nous procurer la coca et la graisse de lama. Même s'il nous faut marcher dix jours pour ça, nous en avons besoin par dessus tout. " D'où le grand problème que rencontrent les Kallawayas lorsqu'ils doivent voyager à l'étranger. C'est ainsi que j'ai vu l'un de mes amis prendre des risques considérables et se rendre de la Bolivie jusqu'au Chili en contournant les postes-frontières, afin d'y guérir un malade. Cette interdiction ridicule (et politique) de la feuille de coca dans certains pays m'a poussé à réfléchir très tôt à un substitut, mais je me suis finalement rangé de l'avis de mes maîtres : pas de rituel kallawaya sans coca. Et c'est justement sur ce point, que la proposition de Jan Fries me semble intéressante.
Bien entendu, il ne saurait être question pour cet auteur de célébrer une mesa kallawaya, d'appeler ainsi sa pratique personnelle ou bien encore de se prendre pour un kallawaya alors qu'il accomplit son propre rite. Comme il le dit lui-même en toute honnêteté, il ne fait que s'inspirer de cette auguste tradition d'Amérique du Sud. La pratique personnelle qu'il propose peut permettre à toute personne n'étant pas kallawaya ou ne vivant pas dans un pays où la coca est légale de faire, à sa manière, une célébration de ce type, sans pour autant prétendre obtenir les résultats incroyables qui font la gloire des kallawayas. C'est pourquoi je suis bien heureux de pouvoir diffuser cette idée de Jan sur mon blog.
Je ne vais pas donner tout le détail de sa pratique, sachant que le lecteur, pourvu d'une imagination géniale, est parfaitement capable de la réinventer tout seul. Je reproduis seulement ici les images des mesas de Jan Fries, qui suffiront à inspirer.
On accumule des petits objets de pouvoir trouvés dans la nature, des os, des plumes, des graines, des fleurs. On construit sur un nid de coton un petit mandala, on y ajoute de l'encens, on le bénit et on l'arrose avec de l'alcool. On se sert des lois de correspondance pour construire le mandala. Mais avant de le brûler vient un moment très important, inspiré des rites kallawayas et que Jan Fries, dans son excellence technique, a parfaitement su discerner là où d'autres n'y verraient goutte. Il s'agit du temps de repos qui a toujours lieu entre la confection de la mesa et sa crémation. Lorsque l'on termine la préparation de la mesa kallawaya, ce qui peut demander parfois jusqu'à trois heures de manipulations diverses, on marque toujours une pause où l'on oublie un peu tout ce qu'on vient de faire en mâchant la coca, en buvant, en fumant beaucoup, en observant le paysage, en parlant de la récolte ou du bétail. Ce n'est qu'une demi heure plus tard à peu près que l'on reprend le rite et que l'on brûle la mesa. Bien entendu, cette pause a techniquement quelque chose à voir avec les conclusions tirées par Spare sur les phases d'inhibition du sceau. Les Kallawayas savent que cette pause est indispensable et joue un rôle dans l'efficacité du rituel. Elle fait d'ailleurs partie des signes pouvant, selon eux, permettre de distinguer un expert d'un simple charlatan.
Une dernière remarque encore : Tous les rites de magie à but utilitaire célébrés par les kallawayas se font sans transe particulière, ce qui apporte un démenti formel á la thèse chaote voulant que toute magie, pour être efficace, doive passer par une transe. Même quand il pratique un retour d'âme et a besoin de VOIR, le kallawaya n'a pas nécessité d'entrer en transe. Au contraire, le rituel kallawaya est non seulement efficace, mais il est très ordinaire et se déroule dans le cadre de la conscience quotidienne. Quelques secondes seulement, alors qu'il prie en faisant - autre signe de son expertise - le kallawaya peut s'absorber naturellement. Rien qui puisse être qualifié de transe ou d'extase. Toute sa pratique á but utilitaire repose sur l'ordinaire de la conscience.
4 commentaires:
j'adore ces petits correctifs, qui, je l'imagine, ne doivent pas être du goût de tout le monde.
Par contre, les liens de ton article sur les gurus, il n'y a pas possibilité d'en avoir une version en français ? l'un d'eux me semble particulièrement intéressant. celui qui finit par : Lo único necesario para que el mal triunfe es que los hombres buenos no hagan nada (Edmund Burke)”.
Avec Google peut-être ?
Merci pour ce détail intéressant de la vie des Kallawayas JL.
Lorsque tu parles de cette "pause", je ne peux m'empêcher de repenser à nos nombreux séjours en Aleyrac, et à tous ces "temps de pause" justement durant lesquels la Présence se manifestaient.
Et le lien avec les sigils est en effet évident.
Admirable par contre la façon tout à fait ordinaire que les Kallawayas ont de faire cela.
\o/
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